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Winnie Truong. Supernatural
Exposition
SAW
Artiste
Cette exposition individuelle d’envergure consacrée à l’œuvre dessinée de Winnie Truong, une artiste établie à Toronto, présentait en première internationale son incursion du côté de l’installation vidéo. Elle réunissait de œuvres nouvelles et anciennes dans lesquelles sont explorées des notions de nature et de féminité, de soin et de soutien, d’indépendance et d’interdépendance.
Fleurs fléchies et corps courbés
Le surnaturel est généralement compris comme tout ce qui est au-delà de ce que l’œil peut observer et tout ce qui transcende les lois naturelles. Autrement dit, c’est quelqu’un ou quelque chose qu’on ne peut expliquer scientifiquement, mais dont l’existence ou l’action nous semble tout de même possible – les fantômes et la perception extra-sensorielle, par exemple. Vacillant à la frontière du réel et de l’imaginaire, l’exposition Supernatural de Winnie Truong offre sa propre description de l’immatériel. Elle réunit des œuvres nouvelles et plus anciennes qui abordent des notions de nature et de féminité, d’attention et de soutien, d’indépendance et d’interdépendance. Dans son travail récent, Truong accorde une forte présence aux corps enlacés et à la vie végétale. Fabriquées à partir de dessins compacts découpés et inscrits dans des assemblages, ces formes ne sont peut-être pas surnaturelles dans un sens habituel, mais elles essaient de cerner le mystérieux et ce qui vient d’un autre monde.
Chaque œuvre dans l’exposition opère comme un monde en soi. To Make Hollow a Home, par exemple, montre deux figures contenues dans des vagues foncées d’allure végétale. Étrangement mais joyeusement contorsionnés, les deux êtres sont entourés de fleurs violettes à différentes étapes de floraison. Les fleurs et les corps sont à l’échelle les unes des autres, ébranlant ainsi notre perception de l’ordre naturel des choses. Cette œuvre-ci semble évoquer un rituel nocturne ou un événement onirique se déroulant dans un jardin. Pourtant, comme dans toutes les œuvres de Truong, aucun récit précis n’est proposé pour nous guider. Même sans récit, ou à cause de cette absence, il est facile d’être complètement absorbé par les innombrables traits de Truong, par ses champs chromatiques soigneusement établis et ses détails alléchants, qui se sont densifiés au fil de sa pratique. Elle a commencé à faire des découpages en papier pour échapper à la planéité et prolonger le dessin dans le tridimensionnel. Forçant le médium à travailler de manière plus structurelle, les découpages font passer l’opération de marquage de Truong du côté du sculptural. À partir d’ici, Truong s’est tournée vers l’animation pour donner du mouvement et de la flexibilité à ses compositions. Les deux vidéos et l’installation vidéo à canaux multiples de Supernatural portent sur des figures agiles qui s’étirent doucement et qui étendent leurs membres comme autant de tiges, de pétales, d’herbes et de roseaux qui tournent, poussent et se balancent, les uns sur les autres, à travers les autres. Les mouvements graciles de ces êtres inhabituels demandent un regard rapproché et suggèrent qu’ils mènent des vies animées qui leur sont propres à des endroits entourés d’horizons mystérieux et de paysages autonomes.
Les corps dénudés de Truong sont ronds et étranges. Ils ne sont pas tout à fait conformes aux associations anatomiques attendues, mais ils ne sont pas non plus entièrement inconnus. Ces figures ont beaucoup changé au fil du temps : les traits des premières œuvres, qui faisaient penser à des créatures, ont donné lieu à des silhouettes plus humaines dans les plus récentes, comme dans celles présentées dans Supernatural. Ce passage du fantastique au plus reconnaissable n’est pas vraiment intentionnel ou planifié; il découle simplement du processus de création de l’artiste. Ce qui est constant dans l’œuvre, c’est que les corps sont toujours en relation. On le constate dans ces corps qui s’agrippent avec prévenance l’un à l’autre et qui fusionnent dans des postures acrobatiques, ou dans la manière dont ils s’enroulent et se transforment en diverses formations végétales et florales. Ces contacts rapprochés entre les corps, et entre les corps et les végétaux, sont intimes et séduisants. Ils semblent parler de l’intérêt de l’artiste pour les relations et les liens, et rendre visible notre façon de partager l’espace les uns avec les autres et avec d’autres formes vivantes.
Même si les corps sont présentés de manière intime dans ces œuvres, leurs visages sont cachés. Souvent dissimulée derrière une chevelure – préoccupation typique de Truong –, ou par des fleurs, chaque figure préserve un certain anonymat. Ce geste est peut-être une tentative de Truong d’offrir une forme de protection contre le fait d’être trop visible et disponible à toutes sortes de regards envahissants. Elle dit de ces créatures « Wimmin », comme elle les appelle, qu’elles se détournent de nous avec défiance et que, par leur propre pouvoir de dissimulation, elles rejettent tout regard genré.
Il y a en commun entre chacun des mondes contenus mais reliés de Truong une qualité sensuelle et suggestive. Cela ne découle pas tant de la nudité des corps que de leur occupation de l’espace et de l’indépendance assumée qu’ils semblent dégager. C’est peut-être aussi en raison des courbes et des plis particuliers de leurs corps; ces créatures semblent bien dans leur peau et heureuses de flotter librement dans des jardins et des prairies joliment suspendus. Truong dit de ses formes qu’elles donnent naissance à leurs propres environnements. Cette façon de concevoir ces êtres nous ramène constamment aux notions de pouvoir et de relation. Ainsi, même si ces mondes sont surnaturels, ils nous ancrent dans des sentiments de proximité et de rapprochement.
— Noa Bronstein
[Traduit de l’anglais par Colette Tougas]