Archives
Ce que nous semons
Exposition
SAW
Artiste
Commissaire
Vernissage et fête d'ouverture
Le samedi 8 juin 2024 de 19 h à minuit
SAW (67, rue Nicholas, Ottawa)
Entrée libre
Le vernissage sera suivi d’une présentation spéciale dans le cadre de l'édition estivale du festival Pique, organisée par Debaser. Cette présentation mettra en vedette des performances de sound systems jamaïcains, de voguing et de stepping dans la cour extérieure de SAW, reflétant des formes de résistance noire. Cet événement, orchestré par Chukwubuikem Nnebe et Kosisochukwu Nnebe, met en lumière la préservation culturelle à travers des traditions musicales durables, faisant écho aux thèmes de la survie et de la vitalité noires dans l'exposition.
—
SAW présente Kosisochukwu Nnebe dans une exposition intitulée Ce que nous semons, qui honore les rites somatiques par lesquels le sol oppresseur se mue en sol libérateur, quand les herbes guérisseuses du déracinement, dans un acte de révolte, sécrètent mystérieusement une sève toxique pour la plantation esclavagiste.
L'exposition commence par une orientation des fonctions corporelles et terrestres vers la matérialisation de forces spirituelles, produisant une archive des méthodologies spécifiques de femmes noires esclavagisées, véritables alchimistes de l'affranchissement. Les installations de Nnebe incarnent les formes transgressives que prend notre présence au sein des structures oppressives. Dans ces œuvres, les femmes délogent de leur corps le lieu du plaisir pillé, subvertissant le travail manuel pénible des plantations coloniales en travail libérateur. Elles imprègnent la terre de leurs rituels, rétablissant le lien spirituel avec les ancêtres et évoquant les insurrections abolitionnistes des Taíno, nourries par des pratiques ancestrales de guérison et de protection. Les pratiques médicinales autochtones, qui mêlent foi et vie végétale, ont réattribué au paysage apostasié par la plantation coloniale cette fertilité qui donne naissance à une existence digne et résistante.
Par et avec leurs ongles, ces femmes transformaient leur corps dépossédé en récipient extracteur de leur rage et de leur espoir. Utilisant pour se libérer le cyanure contenu dans la cassave, vaisseau divin de la terre taíno, elles cherchaient justice par des moyens naturels et spirituels, au péril de leur vie. Dans ces œuvres, les femmes délogent de leur corps le lieu du plaisir volé, détournant les techniques aratoires des plantations coloniales en un ensemencement émancipateur.
An inheritance/a threat/a haunting présente une méthode fabulée à travers une vidéo multi-écrans, où Nnebe active les propriétés toxiques du manioc, le transformant en une poudre empoisonnée incrustée dans l’ongle du pouce des femmes noires. Dans les géographies impériales, les femmes asservies ont reconfiguré la maison des ravisseurs en un lieu d'embuscade. Préparer un repas devenait une attente, un piège tendu à la violence du maître sur leur corps. Exploitant leur rôle essentiel mais invisible au sein des plantations, les femmes révoltées dissimulaient, dans les recoins irrépressibles de leurs corps domestiqués, leurs appétits et les occasions de tuer leurs ravisseurs. Le processus de transformation du manioc, de la cuisine à la galerie, inscrit cette pratique comme un acte de résistance quotidienne, reliant une communauté dispersée par les racines du poison.
L’installation We Have a Cure attire avec des enseignes au néon scintillantes, camouflant le complot dans l'embellissement. À travers des rites de manucure, Nnebe transforme les soins cosmétiques en une armure spirituelle, marquant une allégeance inscrite dans les motifs des idéogrammes des peuples igbo, asante, yoruba et d'autres peuples d'Afrique occidentale et centrale. Ome na ala (the land remained the Earth—and the Earth was a goddess) sert de lieu de sépulture et de transition, où les rites funéraires permettent aux morts d'assumer diverses formes d'existence. Les graines de manioc, d'hibiscus et de groc, semées puis arrosées de libations sacrées, portent les tiges culturelles transatlantiques. Nnebe, autochtone de la terre igbo, a su trouver des voies souterraines menant sa terre à celle de la Jamaïque. Là-bas, les rites sacrés tracent les histoires communes entre les peuples igbo et les peuples déplacés vers l'île. La rupture de cette connexion sacrée, par l'arrachement forcé, a marqué une transplantation violente pour les déracinés, dont l’implantation est toutefois devenue un présage de malheur pour les usurpateurs.
The Seeds We Carry, pièce éponyme de l'exposition, dévoile des bras translucides émergeant des murs, tenant des bouteilles perlées. Chaque bouteille porte le nom de doktè-fey (docteurs-feuilles) du sud des États-Unis, de la Jamaïque et d'Haïti, enraciné.e.s dans leurs traditions de guérison et leurs pouvoirs de malédiction, invoquant les esprits et canalisant leurs forces mystiques. Ces bouteilles recèlent des potions cachées de jus de manioc, poisons silencieux, et des mélanges de racines, graines et pierres pour la protection. En hommage aux autels vodou haïtiens, ces récipients deviennent des décorations conjurantes, incitant les esprits (lwas) à imprégner les potions de leur force et bénédiction.
through us (a dedication from my family to yours) honore les liens familiaux et ancestraux libérant les énergies spirituelles. Les bustes du zemi Yocahu et de Nnedimma Nnebe, en équilibre entre émergence et submersion, symbolisent ce double voyage spirituel. Tandis que le moulage de Nnedimma, en manioc râpé, émerge de la matière noire, Yucahu reste enfoui, entrelaçant le présent et l'absent. Atabey, mère de tous les êtres, insuffle la vie dans la forme de Nnebe, imprégnée de l'essence de Yaya, dieu suprême zemi.
Cette dédicace rend hommage aux parents, au frère et à la sœur de l'artiste, dont la participation est intimement associée au processus de création. Toute la famille Nnebe a contribué à Ce que nous semons : Nnedimma, la sœur aînée, dont la thèse sur l'incidence du cyanure dans le manioc a inspiré cette exposition; Ogochukwu, la mère, qui a cultivé les plantes; Ikechukwu, le père, qui prépare les rites funéraires; et Chukwubuikem, le jeune frère, qui a organisé un hommage musical pour l'ouverture. Nnedimma signifie « bonne mère » en igbo, et Ckuwu, « Dieu » en igbo, habite les noms des autres membres de la famille. Les évoquer, c'est louer la source divine qui charge leurs inspirations. Cette coupe débordante de tendresse familiale se déverse dans la pratique de l'artiste, retraçant cérémonieusement l'esprit indissoluble qui a traversé les eaux pour rejaillir dans les rébellions des peuples déplacés.
À l'extérieur, l'exposition commence et se conclut avec Coseed, une banque alimentaire et un symbole de subsistance collective, construite en collaboration avec la professeure Menna Agha et les étudiants de l'École d'architecture et d'urbanisme Azrieli de l'Université Carleton. À une époque où le racisme envers les personnes noires persiste à travers l'insécurité alimentaire dans les villes canadiennes, cette exposition se dresse comme un témoignage urgent de la vitalité face à des obstacles accablants, célébrant l'ingéniosité de l'existence collective noire. À la clôture de l'exposition, Coseed migrera vers la communauté de Banff pour devenir le Banff Free Market, perpétuant les pratiques cultivées dans Ce que nous semons.
Ce que nous semons devient un hommage vivant aux luttes passées et une invocation des forces spirituelles pour les ancêtres à venir. La terre sert de fil à Kosisochukwu Nnebe pour entrelacer l’ancestral, le contemporain, la spiritualité et les rituels qui les préservent, donnant ancrage aux espoirs et aux résistances dans un sol fertile de mémoire, de révoltes et de victoires.
Joséphine Denis, commissaire
Kosisochukwu Nnebe est une artiste visuelle canadienne d'origine nigériane. Inspirée par les théoriciens postcoloniaux Frantz Fanon et Édouard Glissant, la pratique de Nnebe s'investit dans le démêlage des processus de racisation et repense la politique de la représentation des Noir.e.s. À travers l'installation et les dispositifs optiques, Nnebe crée des œuvres qui changent de forme et se transforment pour révéler de nouvelles façons de voir et de comprendre l’identité noire. Dans le jeu de spatialité et des lexiques visuels codés, les œuvres de Nnebe s'enracinent également dans la théorie féministe noire pour démontrer comment la position d'une personne dans la société - dans l'espace public - dicte ce qui est vu et non vu, engageant ainsi les spectateurices sur des questions à la fois personnelles et structurelles d'une manière qui les sensibilise à leur propre complicité. La pratique de Nnebe est sous-tendue par un désir de reconnexion et par des rêves d'avenirs autrement Noirs, ancrés dans des épistémologies et des ontologies non occidentales et des solidarités anticoloniales.
Ses œuvres ont été exposées dans tout le Canada, notamment à Toronto, Montréal, Ottawa/Hull, Kingston, Guelph, Vancouver, Calgary, Winnipeg et Montréal, ainsi qu'à l'étranger. Les œuvres de Nnebe figurent dans des collections publiques, notamment la Banque d’art du Conseil des arts du Canada et la collection de la Galerie d'Art d'Ottawa, ainsi que dans des collections privées au Canada, aux États-Unis et au Nigeria. Plug In ICA et la Fondation Mozilla lui ont commandité des projets d'art public et d'art numérique. Nnebe a présenté son travail artistique et ses recherches à travers le pays et a enseigné Art and Criticism à l'École d'Art d'Ottawa.
—
Subventionnaires et partenaires : le Conseil des arts du Canada, le gouvernement du Canada, le Conseil des arts de l'Ontario, le gouvernement de l'Ontario, la Fondation Trillium de l'Ontario, la Ville d'Ottawa, le Fonds Dennis Tourbin pour les artistes émergents, la Fondation communautaire d'Ottawa, le programme Ottawa Bilingue d'ACFO Ottawa et Debaser